LA MYSTIQUE DU REIKI

par Pierre Segura

MYSTIQUE : adjectif des deux genres. Qui a un sens caché, relatif à la religion. Les Pythagoriciens attribuent une signification mystique aux nombres et aux figures.

Il signifie plus précisément : qui a rapport au mysticisme, qui participe du mysticisme. Des aspirations mystiques. Des idées mystiques. Une philosophie mystique. Un livre mystique. Substantivement : un mystique, une mystique. Celui, celle qui est adonné au mysticisme.

(Dictionnaire de l’Académie française, 8e édition).

Nous ne pourrions pas traiter ce sujet sans faire référence aux travaux de Walter Lübeck.

Il l’aborde directement quand il écrit le chapitre intitulé « Les principes de vie et l’aspect mystique du système Usui de guérison naturelle » dans La Quintessence du Reiki.

« Écrire au sujet des principes de vie de Mikao Usui signifie aussi raconter les aspects mystiques du chemin du Reiki – Reiki Do. Beaucoup moins familier que l’aspect actif du Reiki (à savoir, la diversité des symboles, des mantras, des kotodamas, des positions des mains, du travail sur les chakras, du traitement mental, de l’harmonisation de l’aura, du traitement à distance et plus encore), cet aspect non actif ne s’ouvre qu’à ceux qui sont enclins à regarder dans le miroir du moi divin. C’est la force divine de la méditation et de la contemplation, du dévouement, de l’inspiration et de la compréhension. Ainsi, cet aspect non actif complète, au sens asiatique de la philosophie yin-yang, le côté plus actif “yang” des méthodes de traitement et techniques rendant possible d’utiliser l’énergie de vie dans la perspective yin ».

Walter Lübeck travailla de nombreuses années sur ces principes de vie car il avait acquis la certitude que les gens étaient « remués » par ces derniers. Mais, à cette époque, il ne disposait pas d’élément originel lui permettant d’avancer.

La situation s’est complètement renversée lorsqu’il accéda aux principes de vie originaux de Mikao Usui ainsi qu’à ses déclarations écrites concernant son enseignement en tant que fondateur de la méthode du Reiki, grâce aux travaux de Frank Arjava Petter.

Quelle est l’essence de ces cinq phrases ?

Que nous révèlent-elles ?

Quelle aide peuvent-elles nous apporter sur notre chemin spirituel ?

Quel sont les messages cachés que nous lègue Mikao Usui ?

L’une des clefs de l’éveil spirituel est dans le « juste pour aujourd’hui » ou « ici et maintenant ». C’est la clef de la porte fermée qui sépare le royaume de l’amour et de la lumière, du monde matériel.

En fait, il s’agit pour lui d’enlever les voiles afin de laisser émerger en chacun la plénitude du « royaume ». Laisser le « moi » s’épanouir entièrement dans le présent permet tout simplement à l’ego de pénétrer la Grande lumière divine.

Mais le chemin qui y mène est périlleux, car les illusions sont coriaces et les résistances prêtent à relever la tête et à lutter jusqu’au bout pour ne pas céder ; l’identification aux valeurs instituées étant un refuge privilégié pour la conscience ordinaire. On comprend, dès lors, qu’il ait constamment cherché en sa paix « la base, l’assise », aussi bien par ses cinq principes que par ses comportements. Il a voulu mettre à nu tout ce qui, en chacun de nous, tentait de se protéger derrière de fausses vertus, cherchant à faire éclater les limites imposées par la bonne conscience afin de préparer l’accès à un autre ordre de réalité.

Pour mieux comprendre la portée de ce « nettoyage », je vous propose d’avoir recours à l’aide d’un philosophe, tel que Nietzsche. Il éclaire, dans un style qui lui est propre, l’intention réelle. Et il convient de dénoncer, comme lui, cette confusion entre deux plans, celui de la morale et celui de la mystique.

Sans souscrire nécessairement à l’ensemble de sa philosophie, ni même partager le ton souvent excessif qu’il emploie, il faut reconnaître qu’il a eu des intuitions pénétrantes. Les titres de ses ouvrages sont évocateurs. Ils permettent de dire que le remplacement d’une spiritualité vivante par un simple moralisme est un obstacle entravant gravement toute possibilité d’épanouissement de l’être.

« Armé d’une torche dont la lumière ne tremble pas, je promène une clarté aiguë dans les souterrains de l’idéal. »

Cette entreprise, pour être décapante, n’en est pas moins nécessaire et c’est ce qu’il a tenté de faire.

La pensée de Nietzsche a souvent été discréditée, sur la base d’incompréhensions, en considérant notamment « la volonté de puissance » comme une volonté personnelle cherchant à conquérir ou dominer les autres alors qu’il s’agit d’une force de vie, d’un élan vital universel. D’un autre côté, la notion du « surhomme » n’a rien à voir avec une donnée génétique, biologique ou raciale : elle désigne le sage accompli, l’homme qui a épanoui toutes ses potentialités et dépassé ainsi la vision commune. Il s’agit donc plutôt d’une qualité d’être exceptionnelle, d’un accomplissement spirituel correspondant à une dépossession du Moi. « J’ai pour précurseur la philosophie du Vedanta et Héraclite ». Ainsi parlait Zarathoustra et cela lui permet de voir directement en lui le « joyeux messager » qui nous propose « une pratique et non une doctrine. Il nous prescrit comment agir et non ce qu’il faut croire ».

En ce sens, on ne peut considérer le philosophe comme un nihiliste, parce qu’il nie. Mais c’est justement, selon lui, la négation de la vie, c’est-à-dire l’étroitesse dogmatique, le carcan religieux, la piété embourbée dans ses valeurs illusoires, les conformismes sécurisants et surtout la réduction du divin à la seule perspective morale, qui débouche sur la vénération d’un dieu en contradiction totale avec la vie « au lieu d’en être la transfiguration et le oui éternel ! ». On lui attribue la célèbre formule « Dieu est mort », il convient de mentionner que c’est du dieu moral qu’il est question. « Vous dites que c’est une décomposition spontanée de Dieu, mais ce n’est qu’une mue : il se dépouille de son épiderme moral. Et bientôt vous le retrouverez par-delà le bien et le mal ».

Dans Zarathoustra, il écrit « Car ce Dieu ancien ne vit plus : il est foncièrement mort, celui-là. » Le fait d’ajouter « celui-là » revêt une grande importance qui est confirmée par cette autre proposition : « La réfutation de Dieu : en somme, ce n’est que le Dieu moral qui est réfuté. ». Le philosophe s’en prend donc essentiellement à une conception de Dieu distordue et réductrice qui ne repose que sur un système de fausses valeurs engendrant l’hypocrisie, le ressentiment, la culpabilité et une oscillation tendue entre la peur du châtiment et la quête d’une récompense. Il considère que le message est trahi parce qu’on l’a réduit à une question de points de mérite ou de démérite, alors qu’il s’agit avant tout de transformer l’homme, de le diviniser. La négation du Dieu moral peut se compenser par : « Plutôt être soi-même Dieu ! » (Ainsi parlait Zarathoustra), car « si l’évolution a un sens, la terre est une usine à fabriquer des dieux ».

Paradoxalement, la mort du Dieu moral n’aboutit nécessairement pas à l’athéisme mais à la restauration d’une perspective nouvelle invitant à une expérience transformante et libératrice : « S’il y a un dieu, comment supporter de ne l’être pas », se demande-t-il, et il pose encore cette question qui revient à un défi ultime : « Ne faut-il pas devenir nous-mêmes des dieux pour paraître seulement dignes de nous-mêmes ? ».

Nietzsche rappelle que « le royaume des cieux est un état de cœur – non pas quelque chose qui arrive au-dessus de la terre ou après la mort ».

La reconquête du divin en l’homme se fait donc ici et maintenant par la pleine acceptation de la vie qui devient transfigurée.

Que veut dire « amour inconditionnel et bonne nouvelle » ? La vraie vie, la vie éternelle est trouvée, on ne la promet pas, elle est là, elle est en nous : en tant que vie dans l’amour sans réticence ni exclusive, sans distance. Ce n’est pas Dieu qui est illuminé mais le fait qu’un quelconque rapport de distance entre Dieu et l’homme est aboli – la bonne nouvelle et l’amour inconditionnel, c’est justement cela, « il n’y a plus d’antagonisme ». Il entend suivre sa trace en s’attaquant à une morale qui accuse pour lui substituer une sagesse qui bénit.

Avec un style incisif qui lui est propre, Nietzsche procède à la manière d’un chirurgien pour extirper le moralisme et l’idéalisme religieux de la conscience humaine.

Loin d’aboutir à un état désabusé, révolté et négatif, sa démarche cherche à emboîter le pas aux « joyeux messagers ».

Comme tout enseignement spirituel authentique, le Reiki aborde différents niveaux de pratique. Il tient compte de l’être humain dans sa totalité ; une totalité qui inclut les aspects les plus concrets de l’individu. En partant du vécu psychique commun, il apparaît que le vécu psychologique de tout homme s’inscrit dans une dimension temporelle horizontale et forcément linéaire. L’homme est fondamentalement conditionné par son passé et, à partir de cette dépendance, projette à la fois ses peurs et ses désirs dans l’avenir. Si une véritable liberté intérieure existe, elle ne peut se situer qu’au-delà d’un tel asservissement, dans une dimension verticale qui tranche radicalement chaque point de l’horizontale.

Les idéaux du Reiki confirment la nécessité de s’affranchir de son passé puisque ce sera le seul moyen de revenir à la réalité présente et d’échapper ainsi à toute projection vers le futur.

Tous les enseignements donnés visent une connaissance éprouvée et vécue de l’intérieur.

Un certain nombre d’entre eux concernent la nécessité de se focaliser sur le moment présent, le seul, finalement, qui soit réel ; le passé ne peut plus être changé, le futur n’existe pas encore.

Il est toutefois important de remarquer à quel point cette pratique est ignorée alors qu’elle est essentielle pour notre épanouissement. La raison est sans doute que l’on s’attache plus facilement aux résultats de l’ascèse qu’à la méthode qui permettrait d’aboutir peu à peu à une telle capacité. Un argument classique consiste à dire que l’homme ne peut rien par lui-même et que c’est à la « grâce divine » d’opérer. Mais rappelons-nous ses paroles : « si tu fais un pas vers l’Univers, il en fera dix vers toi », oui « l’Univers conspire chaque jour pour nous ». Cependant il ne faut pas sous-estimer le pas à effectuer. Il est difficile d’arracher les hommes à leurs conceptions courantes afin de pouvoir réaliser une autre dimension d’eux-mêmes.

Elles épousent la mentalité ambiante orientée sur la venue ou l’accession à un royaume. L’homme doit être capable de passer par le chas de l’aiguille, c’est-à-dire être dans un état d’abandon et de vulnérabilité pour pouvoir basculer dans la pure instantanéité, dans l’éternité.

En réalité, tout enseignement spirituel semble comporter des paradoxes et des contradictions, car tout dépend de l’angle d’approche. Il s’agit pourtant d’un ensemble cohérent incluant simultanément différents niveaux. La tradition zen a, par exemple, deux écoles dont les positions semblent incompatibles : pour l’une, l’illumination ne peut être que subite, alors que pour l’autre, elle est progressive. Cependant, les deux peuvent être vraies en même temps : une prise de conscience abrupte et décisive peut avoir été préparée par une lente maturation intérieure, elle-même ponctuée de plusieurs phases « illuminatives ».

Tout bien considéré, le message de Mikao Usui Sensei est en totale harmonie avec la mystique universelle. Ce qui « préoccupe » le maître, c’est l’éveil de ses « patients » et de ses élèves à une autre dimension, et cela sans délai.

Pierre SEGURA
Maître Reiki
pierre.segura.home@free.fr

 
Bibliographie :
La Quintessence du Reiki
Ainsi parlait Zarathoustra,
Humain trop humain,
Par-delà le Bien et le Mal,
La Généalogie de la Morale,
Ecce Homo, Gai Savoir
Définitions
Nihilisme : Idéologie qui rejette toute croyance ; qui refuse toute contrainte sociale. Négation des valeurs bourgeoises dominantes.
L’ascèse : être notamment capable d’amour, de compassion envers autrui. L’ascèse exprime le refus par l’homme de sa condition incarnée et son désir nostalgique de rejoindre en cette vie même un absolu soustrait aux vicissitudes de l’existence temporelle.