Juste pour aujourd’hui, j’honore mes parents

– par Yvonne Vidal –

Les idéaux du Reiki, je les ai appris et récités pendant de nombreuses années, sans avoir vraiment eu une explication profonde telle que Nita nous la donne dans son manuel de Reiki I.

Ce troisième idéal, j’étais incapable de l’intégrer, ou disons, mes sentiments de haine, de colère, d’incompréhension me bloquaient pour comprendre le vrai sens de cet idéal ou, je dirais, cette philosophie à adapter dans la vie de tous les jours, notamment face à nos aînés, nos parents.

« Juste pour aujourd’hui, je rends grâce pour mes nombreuses bénédictions », oui cela ne me posait aucun problème me disais-je. « J’honore mes professeurs et mes aïeux », cela était même parfaitement naturel et rempli d’amour car j’adorais mes grands-parents, oncles, tantes et mes professeurs. Mes enseignants, je ne pensais qu’à mes professeurs d’école, de lycée, mais c’était ok aussi.

« Juste pour aujourd’hui, j’honore mes parents »… Mais non !!! Jamais de la vie !!! Cela était inacceptable et incompréhensible pour moi ; il était juste hors de question que j’honore mes parents, compte tenu de ce que j’avais vécu avec ou à cause d’eux toute ma vie, mon enfance, mon adolescence, ma vie d’épouse, de maman, de grand-mère ! Moi, mais également mes deux sœurs cadettes.

Nous étions trois filles et chacune d’entre nous a subi des violences, qu’elles soient physiques ou psychologiques. L’émotionnel et le mental ont été mis à rude épreuve durant de longues années jusqu’à ce que chacune ait quitté le domicile familial pour construire une meilleure vie ailleurs. Ce que nous ressentions envers nos parents, c’était de la colère, de l’amertume, de la haine. Mais la haine n’est-elle pas, quelque part, une forme d’amour ? Eloignés du reste de notre famille, grands-parents, oncles et tantes, nous n’avions aucun soutien. Nous étions seules face à cette situation.

Bien sûr que nos parents disaient toujours vouloir notre bien, mais était-ce la bonne manière de nous le montrer ? Ma question de était : est-il nécessaire d’employer la force, la violence, la manipulation pour guider la vie de ses enfants ? Ne voient-ils pas tout le mal qu’ils sont en train de faire ?

Autant du côté de la famille de mon père, il n’y avait qu’amour, bienveillance, non jugement, entraide, autant dans la famille de ma mère, c’était tout le contraire. Le jour de mes dix-huit ans, je me suis refugiée chez mes grands-parents paternels, et l’année de mes dix-neuf ans, j’ai déménagé à Paris pour m’éloigner le plus possible ; par la suite, je suis partie à Marseille et puis à Montpellier. Les années ont passé, nous avions pris nos distances, coupé tout contact pendant presque trente ans. Arrivés à la retraite, mes parents se sont installés à Montpellier. Pour moi, ce fut une épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Pourtant, j’étais déjà praticienne et Maître Reiki, j’aurais dû suivre ce troisième idéal, mais impossible. Je restais à distance. Puis, en 2014, ma mère a été gravement malade et a dû subir plusieurs opérations des cervicales en peu de temps, elle a également eu des problèmes cardiaques. L’issue des opérations était inconnue. J’ai donc revu mes parents puisqu’ils m’avaient demandé de l’aide. Je me devais donc d’y faire face, d’accompagner ma mère lors de ses opérations, mais aussi de prendre en charge le père durant ces mois.

Je l’ai accompagnée durant ses hospitalisations, j’étais présente lors de chaque opération à la demande du chirurgien, je me posais beaucoup de questions, notamment sur mes propres ressentis face à ce qui se passait. Le plus perturbant pour moi était que la haine, la colère ont cédé par moment la place à de la tendresse à son égard, peut-être même de l’amour. J’avoue que mon mari ne comprenait pas, qu’il n’était pas vraiment d’accord pour que je m’occupe de mes parents à ce moment-là car, comme il me disait, « Qu’est-ce qu’ils vont encore nous faire par la suite ? » J’ai de la chance d’avoir mon mari car il est rempli de douceur, d’amour, de sagesse, il s’inquiétait pour moi, pour nous, mais il m’a laissé faire tout en restant « en observation ».

Je pensais souvent à mes grands-parents paternels. Mon grand-père était enseignant et un grand admirateur de Ghandi. Je me rappelle une de ses phrases qu’il nous disait souvent : « Commencez à changer en vous ce que vous voulez changer autour de vous ».

Je lui demandais pourquoi mes parents ne le faisaient pas, il me répondait : « Ce n’est pas à tes parents que je dis cela, mais à toi ». Il me demandait : « Qui est dans la souffrance aujourd’hui ? Seulement toi et tes sœurs ? Penses-tu que ta mère a pu, à un moment donné de sa vie, être en souffrance elle aussi ? Si elle n’a pas compris ou réussi à changer, ne serait-ce pas à toi de faire ce chemin ? »

Avec mes deux sœurs (de 3 et 11 ans mes cadettes), nous n’avons quasiment pas de relations familiales ; l’une vit en Suisse, et ma plus jeune sœur ne vit qu’à quelques kilomètres de moi. Installer un relationnel familial serein, démuni de toute crainte et rempli d’amour est très compliqué, par rapport à notre vécu avec nos parents.

Le 29 octobre 2020, ma mère est décédée du COVID au sein d’un Ehpad à Béziers. La nouvelle a eu l’effet d’un électrochoc sur moi. Elle n’était plus là. Et moi, contrairement à toutes mes imaginations, j’ai pleuré ! Je n’en revenais pas de ma réaction. Je pensais que j’allais ressentir un soulagement énorme, c’était tout le contraire. Que de questions, des regrets ! Trois semaines plus tard, le 17 novembre, l’hôpital de Béziers m’a appelée pour m’annoncer qu’il fallait que je vienne immédiatement, et que mon père, qui était hospitalisé depuis le mois de mars, n’en avait plus pour longtemps. Deuxième choc. J’étais submergée d’émotions, de questions, de peurs, de craintes. C’est, de loin, la situation la plus compliquée que j’ai dû traverser dans ma vie : le décès de mes parents. Oui, d’un coup, je parlais de mes parents et plus de mes « géniteurs ». Je ne comprenais pas mes réactions. D’où sortait d’un coup ce sentiment d’amour pour eux ? Pourquoi je me posais autant de questions sur les circonstances de leur fin de vie ?

Et c’est là que ce troisième idéal a commencé à prendre toute son importance. Quand l’hôpital où se trouvait mon père m’a téléphoné, je suis immédiatement partie du travail, j’ai appelé ma sœur, je lui ai dit de venir avec moi. « On n’a pas pu revoir « la mère », au moins, viens avec moi voir le père, tu ne l’as pas vu depuis tant d’années, il est peut-être temps de faire la paix ». Avec ma sœur cadette, nous l’avons accompagné durant ses dernières heures. Nous étions chacune assise d’un côté de son lit d’hôpital. Il nous serrait nos mains, il nous regardait avec des larmes qui coulaient le long de son visage, il voulait nous parler mais il n’y arrivait plus. Nous avons passé deux journées auprès de lui. J’étais perdue, ma sœur aussi, mais il me fallait gérer. J’étais l’aînée, et dans notre famille, c’est l’aîné(e) qui doit gérer.

Je parlais à mon père. Parfois, je me demandais, mais comment fais-tu ? Avec tout ce qu’il t’a fait, avec tout ce qu’ils nous ont fait ? Devant moi, je ne voyais plus mon père fier, hautain, méchant, violent ; non, je voyais un être humain en grande souffrance, je voyais mon père, il avait peur, il me regardait d’un regard suppliant… Je remplissais sa chambre avec tous les symboles Reiki que je connaissais, je faisais de mon mieux. Je m’entendais lui parler, lui dire que je lui pardonne, je lui demandais de me pardonner… Perdre ses deux parents en trois semaines, je ne m’y attendais pas. Nous faisions face avec mes sœurs à des émotions, des questionnements, des doutes, des regrets, nous étions submergées par autant de souffrances qui remontaient.

Le décès de mes deux parents a eu un énorme impact sur moi-même en tant que praticienne et Maître Reiki. Autant, autrefois, je n’arrivais pas à intégrer et à accepter le « j’honore mes parents », autant aujourd’hui, il agit constamment dans ma vie, sur la manière dont je vois mes parents, sur moi-même en tant que mère et grand-mère.

Durant les jours qui ont suivi leurs décès, j’avoue, et j’en suis heureuse aujourd’hui, que j’ai pu intégrer, malgré mon passé douloureux avec eux, que je pouvais honorer mes parents. Non pour tout ce qu’ils ont fait, car le mal est fait et il est encore présent dans nos mémoires. Ce que j’ai compris, à travers toute cette souffrance, c’est qu’ils ont sans doute fait ce qu’ils pensaient le mieux pour nous, de leur point de vue, et qu’ils ne savaient pas faire autrement. Quelle leçon dois-je en tirer ? Si vraiment la réincarnation existe, pourquoi avoir choisi ces parents-là ? Et puis, c’était une très grande remise en question car, avec tous les enseignements reçus dans le Reiki, où en suis-je aujourd’hui ? Est-ce que j’ai vraiment intégré tous les enseignements reçus ? Ne devrais-je pas recommencer un travail sur moi ? Nous apprenons toujours, la vie nous apprend, oui, où en suis-je aujourd’hui face à tous les idéaux ?

Certes, la violence qui régnait au sein de notre famille était menée et dirigée par ma mère, mais était-elle vraiment consciente ? Elle-même a subi de la violence de la part de son père, elle n’a peut-être pas su faire autrement que de reproduire ce qu’elle a vécu ou bien elle pensait être juste dans ce qu’elle faisait. Et puis, quand on a de la colère, de l’incompréhension, de la haine envers ses parents, on ne fait pas forcément non plus ce qu’ils attendent de nous. Du coup, j’ai peut-être moi-même induit certaines réactions ? Aujourd’hui, je suis capable de leur dire en pensant à eux très fort : oui, je vous pardonne, car vous n’avez fait que ce que vous jugiez correct à ce moment-là. Oui, je vous pardonne, car aujourd’hui je peux dire que vous m’avez montré ce qu’est la souffrance, tout ce qu’il ne faut pas faire à un nourrisson, un enfant, un jeune adulte. Vous m’avez montré ce qu’est la violence, la manipulation, la souffrance, et grâce à cela moi, j’ai appris à m’opposer, à me positionner, à dire non, cela n’est pas tolérable pour moi, cela n’est pas ce que je souhaite construire dans ma vie. Oui, pour cela, je peux vous dire « MERCI », merci pour ces expériences, aussi douloureuses soient-elles, mais peut-être ai-je choisi de vivre ces expériences-là pour peut-être les transmuter par la suite, je n’ai pas la réponse. Oui, je vous demande pardon de mon côté aussi, car je n’ai pas forcément été la fille que vous souhaitiez que je sois.

Je me disais toujours que plus tard, je voulais construire une famille soudée, unie, aimante, où règnent confiance, amour, bienveillance. Moi aussi, j’ai sans aucun doute commis des erreurs vis-à-vis de mes enfants. Non, je n’ai pas transmis la violence, j’ai essayé de les surprotéger, de faire tout le contraire de ce que mes sœurs et moi avions reçu de la part de nos parents, mais tout le contraire, est-ce vraiment bon ?

Aujourd’hui j’ai bien compris que nous avons le choix de nous positionner en victimes ou en personnes heureuses / chanceuses, que nous gardons toujours le libre arbitre et que nous sommes des co-créateurs de notre vie. Je sais que je dois beaucoup à mes grands-parents, mes oncles et tantes car eux n’ont jamais ni critiqué ni jugé qui que ce soit. Au contraire, ils cherchaient toujours le meilleur en chacun et en chaque chose, de belles leçons qu’ils m’ont transmises lorsque j’ai pu passer des vacances chez eux. Je me rappelle les paroles de ma grand-mère : « Derrière chaque nuage, aussi gris qu’il soit, il y aura toujours un rayon de soleil ». Aujourd’hui, au moment où j’écris ces lignes, je suis en paix vis-à-vis de mes parents, en paix avec ce troisième Idéal du Reiki, « Juste pour aujourd’hui, j’honore mes parents », même si je me pose encore beaucoup de questions les concernant, mais la haine a disparu et a fait place à de l’empathie, de la compassion. Même si j’essaie toujours et encore d’analyser leurs comportements. Je me pose souvent la question de savoir si j’ai réussi à être une meilleure mère pour mes enfants, une meilleure grand-mère pour mes petits-enfants. Je l’espère de tout cœur. Le chemin avec et dans le Reiki est une ouverture, un excellent début. À nous de travailler pour devenir les meilleures personnes possibles, jour après jour.

Je souhaite terminer par cette phrase de Dilgo Khyentsé Rinpotché : « L’amour est la seule réponse à la haine ».

Yvonne Vidal

Maître Reiki Usui, Reiki Karuna®

contact@yvonnevidal.com

(Partenaire de Mundoreiki sur Montpellier)