Une définition de l’Autotraitement

Entre plaisir de l’habitude et désir de l’imprévu, fatigue de changements perpétuels et crainte de la routine, mon cœur balance.
Les désagréments de la répétition et des habitudes peuvent apparaître comme un enfermement. À la première découverte d’un rituel, on éprouve des sentiments d’étonnement, de beauté, peut-être même d’exaltation… Nous sommes sans idées préconçues, sans préjugés. Nos sens sont en éveil. C’est un moment unique où tout est possible. Nous sommes détachés de la réalité, ouverts, prêts à donner et à recevoir. Ce premier temps perdu nous fascine précisément parce qu’à celui-ci s’attache un vertige, dû à l’étrangeté de son apparition et de sa disparition.
   
Un rituel n’est pas la simple manifestation d’un besoin, la pure reproduction d’une conduite. à des niveaux différents, il est tout autant menace de saturation qu’amorce de sublimation. En lui le désir s’use mais aussi prend naissance. Si nous reproduisons et répétons un événement même désagréable, c’est pour pouvoir le maîtriser au lieu de se borner à le subir.
Gœthe dit : «Le dégoût est lié à la répétition. Et pourtant seule la répétition est apte à engendrer le véritable bien-être.» Ce qu’on appelle le bien-être ou l’égrégore suppose une certaine constance. Un sentiment de tension a toujours un caractère de déplaisir puisqu’il comporte un besoin de changement. Se sentir bien, c’est n’être point déconcerté, pouvoir se fier, se repérer, être en quelque sorte ancré.

   Pourtant, la présence continue du même pourrait devenir source d’ennui, l’alternance régulière des choses extérieures est fondatrice, dans la mesure où elle ordonne la variété du réel et la rend supportable. En clair, il nous faudrait le désordre habituel ou l’habituel imprévu, pour ne pas se perdre tout en s’imaginant qu’il y a du changement.

   Mais vouloir la répétition, n’est-ce pas aussi vouloir la mort ? Revenir, c’est faire retour à la source, c’est-à-dire passer des apparences à la réalité, de la forme à l’essence. La voie spirituelle n’est-elle pas une voie régressive qui conduit de la multiplicité à l’unité ?

   A partir du moment où l’on décide de recommencer, ce n’est plus de manière inconsciente et il n’y aura plus jamais répétition. Il faut garder un esprit en éveil, un regard neuf, prêt à l’étonnement sur chaque chose où l’on pose les yeux. L’expérience viendra pour comparer, approfondir, apprécier. Un rituel qui sans cesse revient comme un refrain, nous enveloppe, nous pénètre et nous donne des repères, des réponses. À nous de découvrir ce que l’on n’avait pas perçu, d’entendre quelque chose qui nous avait échappé, de voir un geste différemment.

   La répétition n’est pas seconde, derrière une création dite première, dans la mesure où elle cherche à refaire un cheminement qui, de fait, n’a jamais été effectué. Car s’il y avait eu semblable à elle, il n’y eût nul besoin pour elle d’exister. Chaque homme pris à part est une créature nouvelle dans l’univers, et il est appelé à remplir sa particularité en ce monde. La toute première tâche de chaque homme est l’actualisation de ses possibilités uniques, sans précédent et jamais renouvelées, et non pas la répétition de quelque chose qu’un autre, fût-ce le plus grand de tous, aurait déjà accompli.

   La répétition permet l’interprétation. Et Interpréter, c’est créer du sens. La répétition doit être comprise non seulement comme action de réception et de transmission, mais comme re-création du sens. Cette re-création est alors Révélation. Cette Création-Révélation devient Libération car elle arrache l’être à son enlisement dans le déjà-là.

   La répétition, n’est peut-être que le vaste labyrinthe de la vie, celui qui donne accès aux épreuves initiatiques préalables, au cheminement vers le centre caché. Mais chaque homme est une lettre ou une partie de lettre. Chaque homme a ainsi l’obligation d’écrire sa lettre, de s’écrire, c’est-à-dire de se créer en renouvelant le sens, son sens.

 

Lou