« Maître » d’ici… et d’ailleurs

« Maître » d’ici… et d’ailleurs

– par Hélène CHE –

Chaque culture véhicule une façon de penser, un rapport à la vie et aux relations, qui lui sont propres. Bien que née en France et ayant grandi en Occident, mon éducation a baigné dans la culture asiatique, de Chine et d’Asie du Sud-Est. Dans mes choix et dans ma vie, j’ai toujours perçu, de manière subtile jusque-là, les influences… tantôt de la culture asiatique tantôt de la culture occidentale. Lorsque j’ai entrepris de me préparer à l’enseignement du Reiki, la différence d’approche m’a sauté aux yeux. C’est ce regard à double reflet que j’ai souhaité partager avec vous dans cet article.

Dans ma mémoire, j’entends encore le timbre et la voix de mon père, empreints de respect, lorsqu’il utilisait le terme Sifu (« Maître » en chinois cantonais). Etant petite, sans aucune explication, je comprenais que ce terme revêtait un titre honorifique sans équivoque. Il désignait un Grand Maître détenteur du savoir et du savoir-faire d’un art (martial, spirituel ou autre). Celui qui a cheminé avant et plus loin que les autres et qui peut enseigner. Il n’y a aucune confusion possible entre ce « Grand Maître détenteur du savoir et savoir-faire d’un art » et le « maître d’école ». Dans beaucoup de langues asiatiques, il existe 2 titres honorifiques différents pour désigner l’un et l’autre – cantonais : Sifu vs Sinsan ; mandarin : Shifu vs Laoshu ; laotien : A tchan vs Naï khou ; vietnamien : Th?y vs Giáo ; cambodgien : Me vs Krou ; etc.

Dans la langue japonaise, il n’y a pas 2 termes différents pour désigner le maître d’art martiaux et le maître d’école. Toutefois, voici une interprétation du terme Sensei : « Celui qui était là avant moi, qui est garant du savoir et de l’expérience d’une technique ou d’un savoir-faire ». Ce qui rejoint quelque peu la notion de Sifu mentionnée plus haut.

Ce que je comprends de ma culture, c’est que ce titre de Sifu ne s’obtient pas par un diplôme. Il est conféré par la conscience collective ou plutôt la reconnaissance collective : des élèves puis des pairs exerçant le même art et finalement d’une majorité de personnes exerçant cet art ou non. Ce titre se perd lorsque cette reconnaissance se perd, il s’intensifie lorsque cette reconnaissance prend de l’ampleur.

Dans l’enseignement du Reiki, je souris en pensant à ce que pourrait être un chemin de Reiki inculqué avec les codes de la discipline ancestrale. Cela peut paraître caricatural mais le film Karaté kid illustre parfaitement bien ce tableau. Un élève fait ce que son maître lui dit. Même s’il ne comprend pas pourquoi il le fait, même si c’est fastidieux et futile en apparence. Le maître a dit, alors il fait. Ce n’est que lorsque l’élève a compris pourquoi il le fait qu’il peut accéder au niveau supérieur. Du coup, les passages de degrés peuvent être longs !!

L’évolution de l’élève repose alors beaucoup sur l’enseignant. Ce dernier a la responsabilité de cibler les points forts et les faiblesses de son apprenant. Il doit aussi orienter et adapter son enseignement à l’élève et ce, même s’il a plusieurs élèves. C’était donc tout à fait logique, pour moi, d’apprendre qu’Usui Sensei et Mme Takata n’avaient pas transmis exactement le même enseignement à chacun de leurs élèves. Peut-être avaient-ils décelé les prédispositions de chacun ?

Pour ma part, le plus grand Maître qui sache enseigner de cette façon, c’est… LA VIE ! Elle nous fait refaire et revivre la même chose jusqu’à ce qu’on comprenne et agisse en conséquence et elle adapte les expériences à chacun de nous ! Elle fait également preuve d’une telle patience !!! Bref, revenons au sujet…

Dans la mentalité occidentale (et dans la mentalité asiatique en évolution), il n’est plus concevable pour les gens d’accepter de faire quelque chose qu’ils ne comprennent pas. Il semble que dans sa quête de conscience, l’Humain ait eu besoin de passer par la case de la compréhension. Le Siècle des lumières et l’avènement de la science en ont été le reflet.

Aujourd’hui, dans les formations de Reiki, comme dans l’enseignement de manière plus générale, le contenu n’est plus adapté à l’élève, ni à son rythme propre. Tous les élèves d’un même niveau, d’un même enseignant reçoivent le même contenu. A y regarder de plus près, ceci a l’énorme avantage de replacer, très tôt certes, l’apprenant ou l’élève comme le principal responsable de sa propre évolution. (Et aussi, cela facilite la tâche de l’enseignant !) Ceci est parfaitement aligné avec ce que le Reiki nous apprend : nous sommes pleinement responsables de notre vie.

Mme Takata a choisi de traduire Sensei par le terme Master. Ce qui est tout à fait correct (en comparaison avec le terme Teacher). En français, Master a été traduit par le terme « Maître ».

Lorsque j’ai dû écrire pour la première fois que j’étais maître-Reiki, je suis passée d’un état où toutes les définitions étaient claires dans ma tête à un état de réelle confusion. Je suis restée longtemps dans cette confusion à naviguer entre la notion de Sensei, que je ne suis pas, et la notion de maître à laquelle je n’arrivais pas à accrocher de définition. C’est seulement depuis peu que j’ai compris ma confusion.

Le terme maître en français possède différentes définitions ; définitions qui portent en leur sein des connotations qui peuvent complètement s’opposer.

De mon point de vue, je connaissais le « maître » équivalent de Sifu et le « maître » équivalent de maître d’école. Ma culture asiatique m’a fait automatiquement porter le respect que ce soit pour l’un ou pour l’autre, puisque les 2 termes associés portent la charge énergétique d’un titre honorifique très respectable.

En discutant avec une amie qui aime étudier l’histoire et qui ne connaissait pas le Reiki, j’ai compris que le terme maître était empreint d’une partie de l’histoire. Un maître était inconsciemment perçu comme un « maître de pouvoir ». « Dans les paroisses, le maître c’est celui qui s’asseyait à la table du maire et du curé. Il fait partie des notables qui dirigent le village et ses habitants ». Sans compter qu’il y a aussi la notion de maître/esclave qui rappelle cette notion de pouvoir sur les individus… (Dans les langues asiatiques, c’est un autre terme que ceux présentés précédemment, qui permet de désigner le maître d’un esclave).

Mon amie m’a également dit que l’expression maître-Reiki lui avait fait penser aux sectes. Même si on utilise plus communément le terme guru pour les sectes, le trait d’union entre maître et guru n’est pas difficile à placer.

Je précise également qu’en Occident, les termes secte et guru portent automatiquement une connotation négative tandis qu’en Asie, ce n’est pas forcément le cas !

J’ai alors compris que j’avais, moi aussi, fait ces connexions sans m’en rendre compte. Depuis que j’ai compris d’où venait ma confusion, j’ai remis toutes mes cases à leur place ! J’écris que je suis maître-Reiki puisque c’est comme cela qu’on nomme ceux qui ont passé leur maîtrise (3e ou 4e degré, selon les écoles). Cependant le secret, que les praticiens de Reiki connaissent tous, réside dans le fait d’apprendre à clarifier ses intentions. Au fond de moi, peu importe le terme utilisé, adieu le méli-mélo dans ma tête, je sais ce que je choisis de faire. Je travaille à devenir une prof de Reiki que j’aime à être : qui reflète ce que je suis, ce que le Reiki m’a appris, qui est dans le partage au-delà de la transmission. Et au bout du bout, si j’arrive à devenir maître de moi-même… ben… ce sera la fête !

Hélène CHE
Maître Reiki
helene@khamline-reiki.com